DÉSOBÉISSANCE

Auteur : Sebastián Lelio, né en 1974, est l’un des cinéastes emblématiques du nouveau cinéma chilien. Il vit actuellement à Berlin, mais il a vécu temporairement en Angleterre et aux Etats-Unis. Il a étudié durant un an le journalisme à l’université nationale André Bello, à Santiago du Chili. Il est finalement diplômé de l’école chilienne de cinéma et commence sa carrière avec des courts métrages et des documentaires. En 2003, il réalise avec Carlos Fuentes le documentaire Cero, au sujet des Attentats du 11 septembre 2001. Il crée également avec Fernando Lavanderos deux saisons de la série Mi Mundo privado qui caricaturent des familles chiliennes provenant de différents milieux socio-culturels. En 2005, il réalise Sagrada Familia. En 2009 Navidad, drame qui met en scène trois adolescents séparés de leur famille. En 2011, The year of the tiger, sur l’errance d’un évadé de prison. En 2013, il réalise Gloria. Pour son film Une femme fantastique, sorti en 2017, il recrute l’actrice transgenre Daniela Vega comme interprète du rôle principal. Il remporte un prix du scénario à la Berlinale 2017 et en 2018 le deuxième Oscar de l’histoire du cinéma chilien, celui du meilleur film étranger.

Résumé : Une jeune femme d’origine juive-orthodoxe devenue non pratiquante, retourne chez elle après la mort de son père, rabbin charismatique de sa communauté. Mais sa réapparition provoque quelques tensions au sein de la communauté surtout lorsqu’elle retrouve Esti, une ancienne amie qui lui a été très chère.

Analyse : Pour son premier film en anglais le chilien Sebastian Lelio reste dans la même veine que celle de ses dernières réalisations. Il aime incontestablement les femmes et sait les mettre à l’honneur ; des femmes fortes qui cherchent à gagner leur liberté, à s’affranchir de leurs contraintes sociales ou familiales. Dans Gloria il explorait la solitude d’une femme après divorce qui assumait courageusement sa vie affective ; dans Une femme fantastique il montre le combat au quotidien d’une femme abandonnée de tous qui doit lutter pour faire reconnaître son droit à être respectée et traitée comme un être humain dans un contexte délicat de transidentité ; dans ce dernier film Ronit s’est affranchie du milieu étouffant de la communauté juive ultra-orthodoxe du Nord de Londres en partant à New York où elle est une photographe reconnue. Avec subtilité et délicatesse le réalisateur nous fait comprendre les raisons de cet exil : elle a aimé passionnément une amie, Esti, d’un amour tabou et interdit dans ce milieu. À l’occasion du décès de son père, rabbin de cette communauté, elle revient à Londres où elle retrouve Esti, mariée à leur meilleur ami, Dovid. Dans une mise en scène précise et épurée Lelio crée un climat palpable du désir qui monte entre ces deux femmes. Leurs regards appuyés nous laisse entrevoir les non-dits d’une attirance que le temps n’a pas érodée. Quand le désir les submerge, il emporte tout, mettant en danger la vie qu’Esti avait construite avec Dovid. Malgré son affectivité transgressive cette dernière est parfaitement intégrée dans cette communauté. Elle est habillée très sobrement et en sombre, porte perruque, respecte scrupuleusement les rituels religieux. Elles désobéissent à la société, aux prescriptions religieuses, et cette désobéissance là est de celles qui sont nécessaires, qui permettent d’avancer et de s’affranchir du passé.

Avec pudeur, sensibilité et délicatesse le réalisateur filme cet amour lesbien interdit, nous donnant de belles scènes d’amour pleines d’un désir ardent, avec élégance et sans voyeurisme.

Comme dans ses précédents films, Leilo s’attache au tragique de la séparation par le deuil, mort d’un mari, d’un amant, d’un père. Il y ajoute ici le tragique de la séparation voulue, assumée, mais qui laisse de profondes cicatrices. Il nous interroge également sur l’acceptation de la différence, et même s’il ne porte aucun regard critique sur les traditions juives orthodoxes, il dénonce un problème d’une grande résonnance actuelle : la morale interprétée par la religion.

Le film est porté par des interprètes magnifiques de finesse et de subtilité. Rachel Weisz, dans le rôle de Ronit, illumine le film par sa beauté, sa grâce, son courage et l’expression contenue de sa grande fragilité. Rachel McAdams campe une Esti soumise, effacée, douce, mais dans laquelle brûle le feu de la passion. Quant à Alessandro Nivola, il est remarquable dans le rôle du mari délaissé plein d’amour et d’humanité. Le jeu de ce trio d’acteurs donne au film une grande intensité et de beaux moments d’émotion.

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