Auteur : Paweł Pawlikowski est né en 1957 à Varsovie d’un père médecin et d’une mère professeur d’anglais à l’Université de Varsovie. Il quitte la Pologne avec sa mère à l’âge de 14 ans pour l’Allemagne et l’Italie avant de s’établir en Angleterre. Il a longtemps vécu à Oxford et à Paris avant de s’installer de nouveau à Varsovie. Alors qu’il commence une thèse sur le poète autrichien Georg Trakl, il s’intéresse au cinéma. Il entre au service documentaire de la BBC pour lequel il réalise des documentaires sur les pays de l’Est. En 1998, il réalise son premier long métrage de fiction The Stringer.Suivent trois autres long métrages. En 2003, The Gardian le classe 33e dans la liste des 40 meilleurs réalisateurs contemporains. Ida, sorti en 2013, est son premier film réalisé depuis son retour en Pologne. Le film remporte en 2015 l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Le film Cold War (Zimna wojna), son sixième long métrage, en sélection officielle au Festival de Cannes 2018 a remporté le Prix de la mise en scène.
Résumé : Pendant la guerre froide, entre la Pologne stalinienne et le Paris bohème des années 1950, un musicien épris de liberté et une jeune chanteuse passionnée vivent un amour impossible dans une époque impossible.
Analyse : Le charme de ce film est indicible. On est emporté par cette histoire d’un amour fou, violent, tourmenté, impossible, sublime. Dans un superbe noir et blanc qu’on avait déjà vu dans Ida, avec un cadre carré du format 1.33, pour cerner au plus près ses personnages dans leur histoire intime, Pawel Pawlikowsky réalise un film de toute beauté qui nous captive et dont on a du mal à s’extraire. Construit avec des ellipses marquées par un écran noir qui sépare chaque étape temporelle, avec des plans qui sont de véritables tableaux, ce film balaie en 1H24 plus de quinze ans de l’histoire d’une passion incandescente en plein cœur de la guerre froide jusque dans la bohème du Paris des années 50.
Le film se divise en deux parties. La première, Wictor et Zula se rencontrent dans la Pologne d’après-guerre, sous influence communiste. La musique, qui est centrale et omniprésente dans le film, les habite, les unit. Il est pianiste, elle est chanteuse et danseuse. Ils se rencontrent lors d’une audition car le régime veut ressusciter les chansons populaires. Ils sont beaux, éblouissants de séduction ; entre eux la passion est une évidence magnifiquement portée par Joanna Kulig et Tomasz Kot, deux acteurs de très grand talent. Dans des cadrages particulièrement soignés, la caméra caresse leurs visages, leurs corps, la sensualité à fleur de peau de Zula, sa grâce indestructible, même dans l’alcool, nous rendant complices de l’intensité de leur amour. Cette Pologne est filmée dans un noir et blanc avec des nuances de gris, terne et mat, qui manifeste toute la grisaille d’une époque corsetée, où la délation, le manque de liberté et la pesanteur d’un pouvoir qui veut tout régenter rendent la vie monotone et difficile, surtout pour des artistes. Wictor ne supporte plus cette musique sur commande qu’on veut lui imposer, ce monde qui nie à l’individu toute liberté. Zula, plus pragmatique, s’en accommode davantage ; elle essaie surtout de se sortir d’une vie qui a très mal commencé, et dont elle subit toujours les conséquences. Et lorsqu’il décide de passer à l’Ouest, elle ne le suit pas. Ses motivations ne sont pas très claires : amour de la Pologne ? manque de courage ? peur de l’inconnu ? peur des conséquences s’ils ne réussissent pas ?
Le voilà seul à Paris, dans ce Paris des années 50, pianiste dans un club de jazz, l’Éclipse. C’est la deuxième partie du film dont le noir et blanc devient plus chatoyant, lumineux, contrasté. Dans l’atmosphère de ce Paris remarquablement reconstituée, Wictor n’oublie pas Zula. Le rythme du film et les ellipses s’accélèrent. Leur amour perdure, balloté entre les blocs Est et Ouest. Ils se revoient, se croisent à Paris, se ratent à Zagreb, vivent un moment à Paris de nouveau, puis en Pologne. Une vie mouvementée, inspirée de l’histoire tumultueuse des parents du réalisateur, qui leur a dédié son film et donné aux protagonistes leurs prénoms. Leur amour est aussi fort qu’impossible. Zula a rejoint Wictor à Paris, chante à l’Éclipse une ritournelle triste qui symbolise leur passion mêlée de mélancolie, enregistre un disque. Elle est exubérante, excessive, voluptueuse, charnelle, mais insatisfaite. Elle quitte brutalement Paris. L’incandescence de leur passion les réunit de nouveau en Pologne. Le film se termine sur un dernier plan somptueux, où devant la caméra fixe ils partent, ensemble, hors champ. Du grand cinéma.