SILVIO ET LES AUTRES

Auteur : Né le 30 mai 1970 à Naples, Paolo Sorrentino débute dans le milieu du cinéma en coécrivant en 1998 le scénario du film Polvere di Napoli d’Antonio Capuano. Par la suite il écrit et réalise lui-même ses propres films ; dès 2001, il s’essaie au court (La Notte lunga) et au long métrage (L’Uomo in più) avec Toni Servillo qui deviendra son acteur fétiche. En 2004 il réalise Les Conséquences de l’amour, en compétition à Cannes, et qui remporte le Grand Prix du Festival du Film Romantique de Cabourg. Le metteur en scène revient à Cannes en 2006 où il présente L’Ami de la famille, puis Il Divo en 2008, Prix du Jury. En 2011, de nouveau Cannes avec le film This Must Be the Place qui reçoit le Prix du Jury Œcuménique. En 2013, son film La Grande Belleza est sélectionné à Cannes et reçoit l’année suivante l’Oscar ainsi que le Golden Globe du Meilleur Film étranger. Il revient à Cannes en 2015 avec Youth.

Résumé : Portrait décapant et désespérant d’un Silvio Berlusconi, dans son intimité et sa vie mondaine, mais surtout symbole d’une époque où l’Italie se cherche dans un vide politique et moral.

Analyse : Le cinéma de Paolo Sorrentino est très clivant. Il y a les inconditionnels, il y a ceux qui aiment et ceux qui détestent. Pour ceux-là le dernier film du réalisateur sera sans doute l’occasion de se déchainer plus encore. « Parabole grotesque, théâtrale, clownesque, vulgaire », ce sont les propos que l’on trouve sous leur plume. Il est vrai que ce ne n’est pas le meilleur Sorrentino, mais aucun de ces qualificatifs n’est adapté à ce film flamboyant qui, une fois de plus, nous montre le grand art du réalisateur. Ce film n’est pas vulgaire, il montre la vulgarité, ce qui est bien différent, le côté bunga bunga du Cavaliere, ce Président du conseil italien qui a mené les affaires de l’Italie comme il a batit son empire économique, avec corruption, compromissions, chantage, lâchetés, intrigues et bagou d’un vendeur de savonnettes (une scène magnifique à ce propos où l’on voit Silvio convaincre une dame d’acheter un appartement imaginaire dont elle n’a pas besoin). Il faut du talent pour montrer cette déliquescence avec brio et une caméra qui doit beaucoup à son grand maître disparu, Fellini. Sorrentino ne fait pas du Fellini, il lui rend hommage. Mais plus encore que l’homme politique lui-même, c’est le contexte italien de cette période que veut nous montrer le réalisateur. Berlusconi n’est pas arrivé par hasard. Le contexte d’une Italie malade, à la morale défaillante, admiratrice de ces hommes riches et clinquants qui ont réussi à n’importe quel prix, intéresse le réalisateur plus que l’homme lui-même qui n’est qu’un révélateur. Il est dommage que le titre italien n’ait pas été traduit littéralement « Loro », c’est-à-dire « Les autres », simplement. Et c’est tout cet entourage que veut capter Sorrentino, ses bassesses, ses compromissions, sa flatterie dérisoire, sa vile et cupide flagornerie. Certes l’apparition de Berlusconi à l’écran se fait un peu attendre (plus de 30 minutes après le début du film), et on pourrait voir dans cette partie introductive quelques longueurs et répétitions, bien qu’elle montre avec talent l’ambition de ce petit affairiste (extraordinaire Riccardo Scarmaccio) prêt à tout pour atteindre l’homme de pouvoir ; mais la suite rachète largement cette impatience. Il faut saluer l’interprétation magistrale de ce complice de toujours, Toni Servillo, capable de camper un Giulio Andreotti figé, le cou dans les épaules et les oreilles décollées, aux gestes minimalistes, et un Berlusconi au sourire carnassier, se laissant happer par les paillettes d’une vie débridée faite d’argent, de plaisirs, de fêtes orgiaques, de bimbos shootées à la cocaïne et de chansonnettes. En le voyant marcher dans les couloirs du palais, on revoit le vrai Sylvio, et c’est saisissant de vérité.

Ce petit homme puéril a également ses moments de tristesse et de solitude, sans doute la conscience de sa grande vacuité à l’image de ces jeux télévisés débiles que diffusent ses chaines de télévision. Avec une mise en scène virtuose, une remarquable direction d’acteurs, un excès débridé qui est celui du personnage, Sorrentino nous dresse un portrait cruel et décapant d’une Italie plébiscitant un homme vulgaire qui aime le clinquant, qui a le goût des femmes faciles, surtout quand elles sont très jeunes et qui n’a d’autre projet politique que celui de se maintenir au pouvoir.

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