Auteur : Yórgos Lánthimos est né à Athènes en 1973. Il étudie le cinéma et après son diplôme démarre sa carrière à partir des années 1990. Il réalise une série de vidéos sur une troupe de danse et se lance ensuite dans la réalisation de publicités, de courts-métrages et de clips. Il reçoit la première distinction de sa carrière en 2009 avec son troisième long-métrage Canine en remportant le prix Un certain regard au festival de Cannes, film qui est nominé aux Oscars dans la catégorie Film étranger. Son film Alps (2011) est également primé au Festival du film de Sydney et à la Mostra de Venise où il remporte le prix du meilleur scénario. En 2015 The Lobster reçoit le Prix du jury au Festival de Cannes. En 2017, il reçoit le Prix du scénario au Festival de Cannes pour Mise à mort du cerf sacré. La Favorite (2019) a obtenu de très nombreux prix (pour les interprètes, le scénario, les décors, les costumes, le maquillage) aux BAFTA Awards, Orange British Academy Films Awards 2019. Olivia Colman a également obtenu le prix de la meilleure actrice dans une comédie, aux Golden Globes 2019.
Résumé : Nous sommes dans l’Angleterre du début du XVIIIe siècle. La reine Anne, notoirement instable et physiquement fragile, laisse littéralement sa confidente et amante Lady Sarah gérer les affaires politiques du pays (notamment un conflit avec les Français). La cousine de cette dernière, Abigail Hill, ancienne aristo ayant connu la déchéance, arrive au château en tant que servante. Rusée et ambitieuse, elle va peu à peu se rapprocher de la souveraine pour regagner le statut social qui lui a été retiré …
Analyse : N’ayant pas du tout apprécié les précédents films de Yórgos Lánthimos, en particulier The Lobster et Mise à mort du cerf sacré, c’est sans enthousiasme que je suis allée voir La Favorite. Ce fût une bonne surprise. Certes on y retrouve la férocité, le goût du réalisateur pour étudier la noirceur de l’âme humaine et pour la satire noire, mais en beaucoup moins conceptuel. Cette fois-ci Lánthimos s’ancre dans la réalité historique. Nous sommes à la cour d’Angleterre sous le règne de la reine Anne qui dura de 1702 à 1714. Dans une reconstitution fidèle de l’époque, avec décors et costumes somptueux, le réalisateur nous brosse, non sans humour, une fresque terrifiante, au vitriol, de cette société grotesque, triviale, élégante et grossière, qui vit en vase clos dans ce château. Il s’attache surtout à décrire la férocité qui règne autour de cette reine pour la lutte du pouvoir, auquel se mêlent sexe et sentiments. Ce qui est particulier ici c’est que cette lutte est menée par deux femmes, Lady Sarah Marlborough et Abigail Hill, remarquables Raquel Weisz et Emma Stone, autour d’une autre femme, la reine (Olivia Colman). Les hommes sont insignifiants, bouffons, ridicules, serviles et puérils, passant leur temps à jouer à la course aux canards et au lancé d’oranges (il y a quelque chose de pourri dans ce royaume !). Ils sont d’ailleurs souvent filmés en gros plans, avec une certaine cruauté, de manière à rendre leurs visages plus grotesques encore. En revanche les femmes sont fortes, intelligentes, ambitieuses, calculatrices, perfides, manipulatrices. Ce qui n’est pas nécessairement à leur avantage car elles usent des mêmes armes que les hommes dans ces circonstances. Avec une différence toutefois. On apprend en effet qu’Abigail Hill n’est pas d’origine modeste, mais que son père, noble désargenté, l’a vendue pour éponger ses dettes. Ce qui en dit long sur la condition des femmes à cette époque ; ce qui éclaire également d’un jour particulier sa soif de réussir, de sortir de sa condition, au besoin en piétinant sa cousine qui l’a mise en place. Quant à la reine elle est dépeinte comme un être à la limite de l’idiotie, certainement pas faite pour le rôle qui devrait être le sien et qu’elle laisse à Lady Sarah. Elle est grossière, geignarde, douloureuse, consternante ; elle mange de manière dégoutante et n’a à première vue rien de bien aimable. Mais subtilement tout au long du film on se prend à la voir sous un angle plus humain, à comprendre son immense solitude et sa touchante mélancolie. Elle révèle ses fêlures : elle a perdu tous ses nombreux enfants qu’elle a remplacés par des lapins qui vivent auprès d’elle.
Dans une mise en scène riche et efficace, Lánthimos utilise tous les procédés cinématographiques pour accentuer son propos, utilisation du grand-angle, distorsions optiques par l’utilisation de l’objectif fisheye, qui n’est pas sans rappeler Stanley Kubrick. Il écrase les personnages, en particulier la reine et ses favorites, dans d’interminables couloirs ou des salles immenses pour mieux souligner leur solitude et leur enfermement. Une photographie magnifique, des lumières douces et sensuelles donnent à ce film une réelle beauté formelle.