COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT

Autrice : Eva Trobisch est une actrice, scénariste et réalisatrice allemande, née à Berlin-Est en 1983. Après des études à la Hochschule für Fernsehen und Film München  (Munich) et à la Tisch School of the Arts  (New York), elle réalise quelques courts-métrages, et plusieurs films pour la télévision, de 2005 à 2013. Comme si de rien n’était est son premier long métrage. Il a obtenu plusieurs récompenses à l’international en 2018 et 2019 : meilleur premier film au festival de Locarno – Grand Prix du Jury Meilleure actrice au Festival Premiers plans d’Angers – Meilleure réalisatrice et meilleure actrice au Festival de Munich – Meilleure réalisatrice au Festival de Stockholm – Prix spécial du Jury, Meilleure actrice au Festival de Thessalonique – Meilleure actrice au Festival de Marrakech – Meilleure actrice au Festival de Macao.

Résumé : Janne est une femme moderne qui contrôle sa vie et qui sait ce qu’elle veut. Lors d’une réunion entre anciens camarades elle subit un rapport sexuel. Mais elle va persister à faire semblant que tout va bien, refuser de se considérer comme une victime et de perdre le contrôle.

Analyse : Comme si de rien n’était est le premier film d’Eva Trobisch. Contrairement à la présentation qui en a été faite, la réalisatrice se défend d’avoir fait un film sur le viol. Elle a plutôt voulu mettre en avant la force de l’héroïne qui ne veut pas laisser quelques minutes d’un rapport sexuel non consenti gâcher toute sa vie. On pourrait se demander pourquoi Janne n’a pas résisté davantage alors qu’elle est une femme indépendante et qu’elle dirige sa vie. Mais est-il toujours facile de résister ? Martin et elle sont des collègues de travail. Ils ont passé une bonne soirée. Ils ont bu et elle le laisse l’embrasser mais elle ne veut pas aller plus loin. Lui, dans sa tête d’homme, ne veut pas s’arrêter et il prend par la force ce qu’elle lui refuse, comme s’il était acquis qu’une femme qui accepte un petit flirt entre amis accepte forcément tout le reste. Le film met en avant la dynamique du pouvoir dans la vie sexuelle. Janne donne l’impression de laisser Martin devenir un violeur comme pour le punir, pour prendre l’ascendant sur lui. Ni cris ni larmes. Elle n’est pas une victime. Elle montre au contraire tout son mépris pour l’agresseur qu’elle enjambe, en un geste très symbolique, tandis qu’il roule sur le côté, sa sale besogne accomplie. Et la suite démontre bien que c’est lui qui est penaud, maladroit, pathétique, ne sait que faire pour l’aider. Elle trouve la force de lui sourire « On ne va pas en faire toute une histoire » lui lancera-t-elle, ce qui manifeste toujours son profond mépris. L’originalité du film consiste à montrer une scène de viol loin de celle qu’on imagine habituellement, spectaculaire et brutale. Juste trente seconde de jouissance volée, un viol d’une banalité déconcertante, minable, qui devrait en faire réfléchir plus d’une car il semble inscrit dans l’ADN de certains hommes qu’une femme trop gentille est une femme facile que l’on peut prendre même si elle n’en n’a pas envie. Martin est d’ailleurs décrit comme un être banal qui n’a rien du prototype d’un violeur brutal et pervers ; c’est un être poli et bien considéré, qui n’incarne pas le mal. 

Au-delà de cet acte la réalisatrice analyse avec finesse et intelligence non pas les conséquences du viol lui-même mais les ravages du déni que Janne s’impose. Elle n’en parle à personne sauf à sa mère dont la réaction naturelle, qui consiste à nommer les choses par leur nom, alarme Janne qui se rétracte aussitôt. Cette volonté farouche d’oublier, de minimiser ce qui lui est arrivé finira par provoquer chez la jeune femme un repli sur elle-même qui aura des conséquences fatales dans sa vie. La question que pose ce film est celle de savoir s’il est toujours possible, souhaitable, de nier le traumatisme, de faire en toutes circonstances comme si de rien n’était. La réponse n’est pas évidente et se laisse dévoiler tout au long du film. C’est là tout l’intérêt de ce film d’une grande subtilité, sobre, très maîtrisé, porté par la magistrale interprétation d’Aenne Scharz toute en finesse et en nuances, passant du mépris refoulé derrière un sourire affiché et un silence obstiné, à la détresse qui finit par exploser.

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