MONROVIA, INDIANA

Auteur : Frederick Wiseman, né en 1930, est un réalisateur, scénariste et producteur américain. Documentariste reconnu et comptant parmi les plus productifs, il commence par enseigner le droit à Harvard et à l’Université de Boston. En 1967 il signe son premier documentaire, Titicut Follies, dans un hôpital pour criminels psychopathes. Il instaure un style et une technique qui lui sont propres pour éviter les clichés et réduire au maximum la subjectivité : il passe beaucoup de temps avec ses protagonistes avant le tournage ce qui a tendance à leur faire oublier la caméra ; il n’utilise pas la voix-off ni les commentaires, étale ses films dans la longueur (souvent plus de 3 heures) et privilégie le plan-séquence. Il est l’auteur de plus d’une quarantaine de documentaires qui abordent des sujets divers et variés, le milieu de l’éducation, des forces de l’ordre, de la santé, des tribunaux pour mineurs et de l’aide sociale. Dans les années 80, il aborde l’influence de la société de consommation américaine dans le monde et l’intégration des personnes handicapées au sein de la société. Il se consacre également à de nombreuses reprises au thème de la violence dans les rapports humains. Il tourne en 2002 son premier film de fiction, La dernière lettre, sur le génocide des juifs pendant la deuxième guerre mondiale. Le réalisateur revient au documentaire et, après s’être consacré au monde de La Danse (2009), il aborde celui de la boxe.

Résumé : Frederick Wiseman plante sa caméra dans une petite ville du Midwest des États-Unis. Il nous livre une vision complexe et nuancée du quotidien de cette communauté rurale, portrait d’une Amérique souvent oubliée et rarement montrée.

Analyse : Pour son nouveau documentaire, le réalisateur de 89 ans nous amène une fois de plus dans l’Amérique contemporaine dont il sonde inlassablement les ombres et les lumières. Monrovia, Indiana fait partie des ombres. Wiseman nous amène dans l’Amérique profonde, dans cette petite ville agricole du Midwest de 1400 habitants, peuplée à 97 % de blancs, dont les deux-tiers de ses électeurs (76 %) ont voté Donald Trump. Ce documentaire requiert de la patience et de la curiosité. 2 h 30 durant, la caméra de Wiseman nous emmène partout, dans le quotidien d’une ville, dans ses grands champs de maïs, dans ses fermes d’élevage de centaines de porcs, au milieu de troupeaux de vaches noires, dans ses paysages urbains. C’est une visite approfondie, de fond en comble, qui ravira les amateurs de voyages en immersion, nous donnant l’impression d’avoir vécu dans cette ville. Toutes les activités de la ville sont filmées comme Wiseman sait le faire, en faisant oublier sa caméra, sans commentaire, sans voix off, sans jugement. Nous assistons à une vente aux enchères de matériel agricole, nous passons de l’arrière-boutique du boucher, à l’échoppe du tatoueur ou du coiffeur, au restaurant fast food, à la boutique de l’armurier, au super marché dont les rayons regorgent de nourriture et d’alcool, au cabinet d’un vétérinaire pour une scène difficile de l’amputation de la queue d’un chien anesthésié. Nous assistons aux réunions du conseil municipal où l’on discute de problèmes de voirie ou d’adduction d’eau, dans un grand respect des opinions exprimées, aux réunions du Lion Club qui discute interminablement du don d’un banc public devant la bibliothèque, comme s’il n’y avait pas d’autres sujets à évoquer. Mais ce qui frappe surtout, et explique sans doute le vote Trump, c’est une vie repliée sur elle-même, presque en autarcie, et l’omniprésence de Dieu. Dieu est partout, dans les longs prêches des pasteurs, intégralement retranscris, dans une cérémonie de mariage (où l’homme « est à l’image de Dieu, fort et audacieux pour protéger sa femme », et la femme tendre et protectrice à l’égard de son mari …), dans une cérémonie d’enterrement sur laquelle s’achève le film, au conseil municipal et même dans la loge maçonnique. Ce qui frappe également c’est l’obésité des habitants et leur âge moyen. Peu de jeunes, surtout des vieillards gardiens de traditions dont ils semblent avoir oublié le sens, qui parlent au bistrot de leur jeunesse, de leurs maladies, de ceux qui meurent, sans aborder aucun sujet politique, social ou environnemental. Aucun noir, sauf l’image furtive d’une vendeuse de sandwich dans une baraque. Une Amérique déclinante, qui donne à réfléchir, filmée avec un regard implacable, qui semble être coupée du monde, et dont on a du mal à réaliser qu’elle existe, mais qui nous éclaire sur l’état d’esprit actuel d’une grande partie de ce pays.

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