La fille au bracelet

Auteur : Stéphane Demoustier, né en 1977 à Lille, est un producteur et réalisateur français. A partir de 2008 il produit et réalise des documentaires consacrés essentiellement à l’architecture. Il est l’auteur de trois longs métrages, Terre battue en 2014, Allons enfants en 2018 et La fille au bracelet en 2019. Il est le frère de la comédienne Anaïs Demoustier et de Camille Demoustier (créatrice de bijoux).

Résumé : Lise, 18 ans, vit dans un quartier résidentiel sans histoire et vient d’avoir son bac. Mais depuis deux ans, Lise porte un bracelet électronique car elle est accusée d’avoir assassiné sa meilleure amie.

Analyse : C’est un thriller très particulier que réalise Stéphane Demoustier pour ce troisième film. Particulier en ce sens que s’il y a bien un meurtre et une présumée coupable, il n’y a aucun de ces moments qui donnent des frissons ou qui font craindre pour le héros du film, et surtout, le suspens n’est jamais levé ; le spectateur reste, même après le procès, dans le doute sur la vérité que la vérité judiciaire n’arrive pas à révéler. Ambiguïté entretenue jusque dans le titre lui-même, le bracelet n’est pas le bijou que l’on croit mais très prosaïquement un bracelet électronique. Comme dans Acusada, film argentin de Gonzalo Tobal (2019), dans lequel Demoustier semble avoir puisé son inspiration, chacun reste libre de se faire sa propre opinion sur la culpabilité de Lise et le mystère reste entier. Ce qui fait également l’originalité de ce thriller c’est que le réalisateur se centre davantage sur d’autres questions qu’il traite avec subtilité et pudeur, le conflit des générations, l’incompréhension que l’on a vis-à-vis de nos adolescents, nos intimes, l’abîme qu’il y a entre le monde des adultes et celui des adolescents. L’avocate de la défense (magnifique Annie Mercier) pose justement la question dans sa plaidoirie : « Que savons-nous des adolescents de 16 ans, de leurs amitiés, de leurs amours ? » Une vidéo mise en ligne par la victime dans laquelle on voit l’accusée faire une fellation à un camarade semble sceller le procès. C’est l’origine du conflit entre les deux amies. Lise devient aux yeux de ses camarades et dans les réseaux sociaux une fille facile, une salope, et l’on sent le procès dériver vers un jugement de moralité. Le film souligne avec justesse le fond de puritanisme et la profonde misogynie de la société. Que Lise dénonce parfaitement, elle qui sait si peu, ou mal, se défendre mais qui s’insurge sur ce point en demandant pourquoi on ne dit pas de son ami qu’il est un garçon facile ?  Personne en effet ne s’étonne de l’impudeur du garçon qui s’exhibe autant qu’elle. Lise est une adolescente (16 ans au moment des faits) aux mœurs libérées, qui comme beaucoup de jeunes d’aujourd’hui pratiquent les amours faciles et décomplexées, le sexe sans affect. Le réalisateur, avec talent nous fait ressentir comment cette découverte déstabilise toute une famille et désarçonne des parents qui se posent inévitablement des questions sur l’éducation qu’ils ont donnée à leurs enfants et surtout sur le fait qu’ils n’ont rien vu venir, qu’ils n’ont rien compris. Ces moments de vérité humaine font toute la force du film.

Lise n’échappe d’ailleurs pas qu’à ses parents. Elle nous échappe aussi dans ses silences, son impassibilité, son détachement, qui soulignent soit son indifférence tant elle se sait innocente, soit nous confortent dans l’idée qu’elle a quelque chose à cacher. Son personnage étonne et attire à la fois par sa force doublée d’une grande fragilité. Cette part de mystère que la jeune Melissa Guers reconstitue parfaitement, avec une intense présence, dans un premier rôle remarquablement maîtrisé. 

Dans ce huit clos du tribunal où domine le rouge le réalisateur a très bien su, dans une mise en scène sobre, rigoureuse et maîtrisée, reconstituer la procédure et la solennité d’une cour d’assise dans laquelle nos jeunes apprendront qu’on ne dit pas en France ‘votre honneur’ !

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