La Llorona

Auteur : Jayro Bustamente né en 1977 est un réalisateur, producteur et scénariste guatémaltèque. Il étudie la communication à l’Université San Carlos de Guatemala City, puis le cinéma au Conservatoire libre du cinéma français (CLCF) à Paris et au Centre expérimental de cinématographie à Rome. Il est le cinéaste de l’ébranlement familial et des maux de la société guatémaltèque. Son premier long métrage, Ixcanul, sur l’existence d’une jeune indienne maya, vivant dans une plantation de café située sur les flancs d’un volcan, est présenté en compétition à la Berlinale de 2015 où il remporte l’Ours d’argent. Son second film, Tremblements (2019), film urbain cette fois, décrit de manière implacable les ravages des Églises évangélistes dans la société guatémaltèque, particulièrement en ce qui concerne l’homosexualité. Avec La Llorona il renoue avec l’histoire des indiens, l’histoire tragique de leur génocide.

Résumé : Jayro Bustamente retrace un drame historique qui a endeuillé une partie de la population guatémaltèque : le génocide des indiens mayas, particulièrement les massacres de Rabinal, entre 1981 et 1983, sous la dictature sanglante du général Efrain Rios Mott (général Enrique Monteverde dans le film), pendant la guerre civile qui a duré près de quarante ans, de 1960 à 1996, et dont l’histoire n’a jamais été assumée. Il s’aide pour cette évocation du mythe sud-américain de la Llorona, la pleureuse qui pleure ses enfants. Serait-ce Alma la nouvelle servante de la famille ?

Analyse : Au lieu de choisir une reconstitution historique réaliste Jayro Bustamente a choisi un genre particulier, le film fantastique, onirique, porteur d’un message politique fort. C’est, au début, un peu surprenant mais très vite on est saisi par la force du procédé qui rend ce film intense, puissant, émouvant et fascinant. Certes le procédé utilisé emprunte tous les codes du film fantastique occidental. Mais cela ne peut constituer une critique comme je l’ai lu, car d’une part c’est loin d’affaiblir le propos, bien au contraire, et d’autre part il s’appuie sur la légende latino-américaine de la Llorona. C’est est un fantôme issu du folklore d’Amérique latine. Selon cette légende, il se présente comme l’âme en peine d’une femme ayant perdu ou tué ses enfants, sorte de Médée, les cherchant dans la nuit près d’un fleuve ou d’un lac, effrayant ceux qui entendent ses cris de douleur perçants. La présence d’esprits pleurant sur les rives des fleuves, pour diverses raisons, est une caractéristique récurrente de la mythologie aborigène des peuples préhispaniques. L’eau est un élément omniprésent dans le film. Celle qui surgit des robinets à l’improviste, celle qui inonde de manière incongrue certains lieux, celle dans laquelle nage Alma, au visage inquiétant, dont on sent dès son apparition dans le film, qu’elle est porteuse d’un message ou d’une menace. La menace qui sourd tout au long du film. Dès les premières images, une longue incantation religieuse répétée en boucle par un cercle de femmes, avec un gros plan inquiétant sur celle qui la récite. Est-on dans une secte ? Non, tout simplement au domicile d’un général dans une réception où l’on voit un certain milieu social aisé de descendants des colonisateurs. Le ton est donné. Progressivement, grâce aux images du procès où une vieille femme maya le visage recouvert d’un magnifique voile brodé de bleu vient témoigner sobrement des massacres et viols commis par milliers, on comprend l’infamie de ce militaire coupable de la mort de 1771 indigènes mayas, véritable génocide. Le déni, la mauvaise foi révoltante du général qui accentuent sa monstruosité ne suffisent pas à éviter sa condamnation, condamnation rapidement annulée par la Cour suprême pour un soi-disant vice de forme. Rentré chez lui avec sa famille sous les huées et la pression de la foule, commence un long enfermement dans un domicile cerné par des indigènes qui nuit et jour réclament justice, prient ou font de la musique. Le hors champ entêtant de la présence de ces centaines d’indiens constitue une toile de fond sourde, inquiétante, et accentue la sénilité de ce vieillard qui en perd progressivement la raison. Chaque nuit il est réveillé par les pleurs d’une femme et sent une présence maléfique. Ambiance oppressante rendue plus lourde encore par l’inquiétude des habitants de la maison et les doutes de la fille du général. Une mise en scène rigoureuse, sobre, élégante et dépouillée, des cadrages soignés, donnent à ce film une puissance d’évocation qui nous hante longtemps après l’avoir vu. Ne partez pas avant la fin du générique. La magnifique chanson qui l’accompagne donne son titre au film.

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