Dans un jardin qu’on dirait éternel

Auteur : Tatsushi Ōmori est né à Tokyo en 1970. Il est le fils d’Akaji Maro, metteur en scène, chorégraphe et célèbre danseur de butô, et le frère aîné de l’acteur Nao Õmori. Après avoir fréquenté le lycée Toyoma il a fait des études de sociologie à l’université Komazawa de Tokyo. Il a commencé dans le cinéma en tant qu’acteur, puis assistant réalisateur d’Haruhiko Arai et de Junji Sakamoto, deux réalisateurs japonais. Il est l’auteur de douze films dont aucun n’est sorti en France, excepté Dans un jardin qu’on dirait éternel. Ce film est sorti au Japon en 2018. C’est donc la toute première fois qu’un film de cet auteur apparaît sur nos écrans français alors qu’il n’est pas inconnu sur le plan international car ses films ont été sélectionnés à Locarno, Berlin, et naturellement Tokyo.

Interprètes : Kirin Kiki (professeure Takeda), Haru Kuroki (Noriko), Mikako Tabe (Michiko).

Résumé : Dans une maison traditionnelle à Yokohama, Noriko et sa cousine Michiko s’initient à la cérémonie du thé. Au fil du temps, Noriko découvre la saveur de l’instant présent, prend conscience du rythme des saisons et change peu à peu son regard sur l’existence. Michiko, elle, décide de suivre un tout autre chemin.

Analyse : Ce film est Inspiré, avec une grande fidélité, d’un livre, La Cérémonie du thé ou comment j’ai appris à vivre le moment présent (Marabout, 2019), ouvrage contant l’aventure intérieure d’une vie, écrit par Noriko Morishita, Japonaise de Yokohama. Ce film ne se résume pas en effet à un documentaire sur la cérémonie du thé, comme l’indique bien le titre de l’ouvrage, mais décrit le parcours personnel et spirituel de deux jeunes filles. Un film poème, hors du temps, comme on en voit trop peu au cinéma, qui nous montre comment la répétition des choses du quotidien, les plus simples comme les plus complexes, nous aident à voir la vie avec un autre regard et à faire un long chemin intérieur (Voir Paterson de Jim Jarmusch, fiche du 25 décembre 2016). Ce film s’écoulant au fil des années et des saisons qui ont toutes des noms poétiques, nous entraine dans une douceur, un apaisement profond par son harmonie, sa délicatesse, sa beauté. On ressent, après l’avoir vu, une grande sérénité intérieure et l’impression d’être transformés. Une expérience émotionnelle inédite qui sollicite tous nos sens. Les images, qu’elles soient d’intérieur ou d’extérieur, sont d’une grande beauté. Mais surtout la maison de la maîtresse de thé, la professeure Takeda, où tout est simplicité, raffinement, élégance. Les murs sont tapissés de citations philosophiques qui nous rappellent le sens du temps, le rapport au monde à la nature. Une réalisation soignée et méticuleuse qui n’a rien laissé au hasard ; les sons, le silence et les bruitages d’une grande subtilité (le frôlement des pas sur le tatami, le froissement d’une serviette, le bruit de la pluie sur le jardin, le thé qui coule dans les tasses), la douce lumière du printemps, de l’automne ou de l’hiver, sont un véritable enchantement. 

Cette cérémonie du thé, appelée le « chanoyu », peut surprendre notre regard occidental. Il s’agit, en suivant une série de gestes parfaits, extrêmement précis, de préparer du thé à partir de matcha, variété particulière de thé vert japonais. Cette discipline très stricte, sans cesse renouvelée, aux infimes variations au fil des saisons, s’étale, dans le film, sur plus de 20 ans. Une ode au temps présent, au temps qui passe, aux saisons, à la douceur de vivre, à la lenteur. Le bonheur de refaire les mêmes gestes qui amène à s’interroger sur sa propre vie, à retrouver l’harmonie qui réconcilie avec soi-même et avec le monde. On voit évoluer Norito, littéralement murir sous nos yeux et se découvrir dans le sens qu’elle veut donner à sa vie. 

Ce film est d’autant plus émouvant que Kirin Kiki, la professeure Takeda, la vieille dame espiègle des délices de Tokyo de Naomie Kawase (fiche du 1er février 2016) qui savait si bien faire les dorayakis, et qui a été l’actrice fétiche d’Hirokazu Kore-eda (elle était notamment la grand-mère dans Une affaire de famille, Palme d’or 2018, fiche du 27 décembre 2018) est décédée en septembre 2018, avant la sortie du film.

Plus prosaïquement ce film évoque également des problèmes très actuels. La difficulté des jeunes à trouver une place dans la société japonaise fondée essentiellement sur l’excellence et surtout la situation des femmes qui lorsqu’elles n’entrent pas dans le système n’ont que le choix entre un travail peu valorisant ou se mettre au service de leur famille.

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