Madame

Auteur : Stéphane Reithauser, né en 1972 à Genève, est directeur de la photographie, enregistreur de bruitages et producteur. Après des études de droit il se consacre au domaine de l’audiovisuel. Il devient un militant actif de la cause LGBT. Un temps réalisateur à la RTS, il s’est formé à New-York à la lutte contre l’homophobie en milieu scolaire, puis, en 1998, au sein de la commission jeunesse et école de Pink Cross, fédération suisse des hommes gays et bis. Il a publié en 2000 À visage découvert, le premier ouvrage romand dans lequel de jeunes homosexuels témoignent sans se cacher. Madame est son premier long métrage qui a obtenu en 2019 le prix du jury à la Documenta de Madrid. 

Résumé : Saga familiale qui s’étale sur trois générations, Madame retrace un dialogue entre Caroline, une grand-mère au caractère flamboyant, et son petit-fils cinéaste Stéphane, lors duquel les tabous de la sexualité et du genre sont abordés, dans un monde patriarcal hostile à la différence.

Analyse : En poursuivant son dialogue avec sa grand-mère disparue en 2004, Stéphane Reithauser réalise un documentaire lumineux et terriblement émouvant. A un double titre. D’abord parce qu’on ait saisi par l’amour réciproque que se portent cette grand-mère et son petit fils. En se plongeant dans les photographies, les films de famille en Super-8 pris par son père, vidéaste amateur, puis par lui-même, et dans son journal intime rempli durant de longues années, le réalisateur nous trace un magnifique portrait d’une femme libre pour son époque. Née au début du XXe siècle, fille d’immigrés italiens, ses parents la destinaient à une vie de femme soumise et à la maison. Un père qui lui interdit de lire, de fréquenter des garçons, la marie de force très jeune. Violée par son mari, mère gamine, divorcée à 18 ans et mise pour cette raison au ban de sa famille et de la société, elle ne s’est pas laissée abattre. Avec intelligence, pugnacité, et une force de caractère peu commune, elle s’est libérée de son conditionnement social en travaillant. D’abord coiffeuse puis employée dans une maison de couture, elle monte sa propre entreprise en créant des gaines de luxe pour ses riches clientes ; puis elle passe de la brocante à la restauration et devient l’une des femmes les plus riches de la bourgeoisie genevoise.  Débordante de vie et de fantaisie (elle a fait du théâtre, prend les pinceaux à 90 ans), Caroline est follement élégante, décroche le second permis de conduire attribué à une femme à Genève et acquiert une voiture. Cette femme libre et passionnée qui a su s’affirmer dans un milieu hostile est un vrai modèle pour Stéphane. 

Son documentaire ne se limite pas à rendre hommage à cette grand-mère extraordinaire. L’autre intérêt du film réside en ce qu’il est le récit poignant et émouvant de la construction d’une identité. Dans son milieu un homme doit être fort, avoir des conquêtes féminines, faire un beau mariage avec une femme qui élèvera ses enfants. Un garçon doit se construire contre l’identité féminine car une femme est un sous-être social. L’homophobie est intimement liée au sexisme. Stéphane raconte sa peur de gamin « de ne pas être un homme » donc d’être assimilé à une femme. Tout en reconnaissant son attirance pour les garçons il affirme ne pas être un homosexuel, un pédé, une tantouse. « Je ne suis pas une tafiolle. Je suis amoureux d’un garçon, mais je ne suis pas gay » se répète-t-il. Et pour affirmer son propos il se montre particulièrement odieux et désinvolte à l’égard des femmes. Puis progressivement, à l’occasion notamment d’un séjour aux États-Unis où il rencontre un compagnon, il assume et devient ce qu’il est, ouvertement gay et il milite activement pour les droits des personnes LGBT. Il éprouve le besoin de le dire à ses parents. « Tu me plantes une baïonnette dans le cœur » lui lancera son père. On ne dira rien à Caroline, alors âgée de 85 ans. Suit une période d’éloignement entre eux. Mais la fine mouche le devine et finit par lui glisser : « Tu sais, tu es né comme ça, tu es comme Cocteau et Jean Marais… Comme mon curé et mon banquier ». Elle essayera même plus tard de le rapprocher d’un compagnon qu’il a quitté. Un film original, sensible, profond, très attachant.

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