Le diable n’existe pas

Auteur : Mohammad Rasoulof, né en 1973 à Chiraz, est un réalisateur et scénariste iranien. Il étudie la sociologie puis le montage cinématographique. Il réalise, à partir de 2002, huit films dont les plus connus sont Au revoir (2011), Les manuscrits ne brûlent pas (2013), présenté à Cannes dans la section Un certain regard, prix FIPRESCI, Un homme intègre (2017), présenté au festival de Cannes dans la section Un certain regard, prix Un certain regard. Ce film lui vaut des ennuis dans son pays (passeport confisqué, convocation à un interrogatoire) par les autorités qui l’accusent d’activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime. En décembre 2010, il est arrêté avec Jafar Panahi, avec qui il coréalise un film, pour « actes et propagande hostiles à la République Islamique d’Iran ». Il est condamné à un an de prison et Pahahi à six. En juillet 2019 il est condamné de nouveau à un an de prison pour les mêmes motifs. Le diable n’existe pas a remporté l’Ours d’Or à la Berlinale 2020.

Interprètes : Ehsan Mirhosseini (Heshmat) ; Kaveh Ahangar (Pouya) ; Mohammad Valizadegan (Javad) ; Mohammad Seddighimehr (Bharam).

Résumé : Iran, de nos jours. Heshmat est un mari et un père exemplaire mais nul ne sait où il va tous les matins. Pouya, jeune conscrit, ne peut se résoudre à tuer un homme comme on lui ordonne de le faire. Javad, venu demander sa bien-aimée en mariage, est soudain prisonnier d’un dilemme cornélien. Bharam, médecin interdit d’exercer, a enfin décidé de révéler à sa nièce le secret de toute une vie. Dans un régime despotique où la peine de mort existe toujours, des hommes et des femmes se battent pour affirmer leur liberté.

Analyse : Le huitième long métrage du réalisateur Mohammad Rasoulof, tourné semi-clandestinement, décline de nouveau sur quatre récits les souffrances du peuple iranien sous un régime qui règne par l’oppression et la terreur. Le fil rouge de ces quatre histoires est la peine de mort, ou plus exactement la responsabilité individuelle de chacun face au meurtre légal lorsque le gouvernement transforme en bourreaux des membres de sa population contre leur gré, et comment certains se battent pour affirmer leur liberté de conscience. Dans le premier récit Heshmat se présente comme un père, un mari, un fils modèle. Il s’acquitte des tâches domestiques, élève sa petite fille avec rigueur, soigne avec attention et affection sa vieille mère. On se demande où le cinéaste veut en venir lorsqu’en toute fin on devine la profession de cet homme exemplaire. Des indices nous sont donnés toutefois. On sent un être fragile dont le regard est empreint d’une grande tristesse. On comprendra pourquoi Rasoulof filme complaisamment les feux verts et rouges qui jalonnent les trajets d’Heshmat en voiture et la signification de cet épisode où Heshmat reste totalement figé dans sa voiture au feu vert, incapable d’avancer. Dans les récits suivants le réalisateur met également en scène les traumatismes de ceux que le système force à tuer, aux prises avec leur culpabilité, les conséquences psychiques et sociales pour chacun d’entre eux, notamment les conséquences dramatiques pour ceux qui se rebellent en refusant de tuer. Avec un courage que l’on ne peut qu’admirer, le réalisateur a déjoué la censure en faisant tourner par ses assistants les scènes d’extérieur, en présentant quatre courts métrages, forme cinématographique moins surveillée, et en n’apparaissant jamais comme réalisateur. Après la corruption il dénonce, dans l’ambiance de persécution politique dans son pays, le sujet tabou de la peine de mort, arme aux mains des mollahs pour terroriser la population. Ce n’est pas un hasard si l’Iran est, derrière la Chine, le pays qui détient le record sinistre d’exécutions en application de la loi sur la peine de mort (246 au moins, pour l’année 2020) qui peut sanctionner de simples délits.

Les quatre récits indépendants mais reliés entre eux par le même thème, sont conduits à la manière d’un thriller dont les éléments de compréhension, grâce à un art achevé de la mise en scène, n’apparaissent que très progressivement et clairement en toute fin de récit. Situant chacun dans des lieux différents, on peut admirer des décors magnifiquement filmés, de toute beauté, les forêts du Guilan ou les magnifiques montagnes arides proches de la capitale.

Le réalisateur n’a pas négligé le rôle des femmes qui, même en seconde ligne, sont dignes, fortes, très présentes, actives et jouent toutes un rôle déterminant.

Une œuvre immense qui doit nous donner à réfléchir sur l’état du monde aujourd’hui, qui nous rappelle combien sont précieuses la liberté, la liberté de conscience, la liberté d’expression, combien il reste important de se révolter contre le totalitarisme et de résister en chantant Bella ciao que l’on entend à plusieurs reprises dans le film.

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