Nightmare Alley

Auteur: Guillermo Del Toro, né en 1964, est un réalisateur, scénariste, mexicain et se passionne gamin pour le cinéma. Étudiant en effets spéciaux il se consacre pendant dix ans à la réalisation d’effets pour des productions mexicaines. Il réalise son premier film en 1993 Cronos, film d’horreur, qui remporte de nombreux prix internationaux (Cannes 1993). Il s’expatrie en Californie et réalise Mimic (1997), L’Échine du Diable tourné en Espagne (2001), ou Blade 2 (2002). Le Labyrinthe de Pan (2006) est présenté en Sélection Officielle au Festival de Cannes. Il met en scène en 2013 une gigantesque bataille opposant monstres et robots géants dans Pacific Rim. Son avant dernier film La Forme de l’eau remporte le Lion d’or à Venise 2017, et deux Oscars (2018), meilleur réalisateur et meilleur film. En 2015 il est choisi pour faire partie du Jury du Festival de Cannes 2015.

Interprètes : Bradley Cooper (Stanton Carlisle) ; Cate Blanchett (Dr Lilith Ritter) ; Rooney Mara (Molly) ; Toni Collette (Zeena) ; Willem Dafoe (Forain). 

Résumé : Stanton Carlisle débarque dans une foire itinérante et parvient à s’attirer les bonnes grâces d’une voyante, Zeena et de son mari Pete, une ancienne gloire du mentalisme auquel il parvient à soutirer les secrets. Il décide d’utiliser ses nouveaux talents pour arnaquer l’élite de la bonne société new-yorkaise des années 40. Il échafaude un plan pour escroquer un homme aussi puissant que dangereux. Il va recevoir l’aide d’une mystérieuse psychiatre qui pourrait bien se révéler la plus redoutable de ses adversaires…

Analyse : Guillermo del Toro abandonne le film fantastique pour une réalisation d’un genre nouveau, le film noir. Il adapte cette fois-ci un roman de William Lindsay Gresham, Nightmare Alley (Ruelle des cauchemars), traduit en français par Le Charlatan, paru en 1946. Roman qui a déjà fait l’objet d’une adaptation en 1947 par le réalisateur Edmund Goulding, avec Tyrone Power dans le rôle principal. Très fidèle au roman, le film met en scène la monstruosité, physique et morale, avec un regard très cynique sur le genre humain. A part la candide Molly, tous les personnages révèlent le pire d’eux-mêmes. Le réalisateur respecte tous les codes du genre : un arriviste sans scrupules, une société pourrie, la femme fatale, la soif d’argent et de pouvoir jusqu’à la destruction des autres et de soi-même. Nous sommes à la fin des années 30. Les effets de la crise atteignent toujours la population dans certaines régions d’Amérique. L’attirance pour les phénomènes paranormaux qui donnent l’espoir d’un autre monde possible ou de connaitre un avenir qu’on espère de toute façon meilleur, le plaisir de voir des monstres humains plus malheureux que soi, draine beaucoup de monde dans les foires où grouille, dans une atmosphère poussiéreuse et boueuse, un petit monde d’escrocs, de profiteurs, de bonimenteurs, de fausses magiciennes, d’arnaqueurs en tout genre, d’exploitants cruels de la misère humaine. C’est dans ce milieu qu’arrive le charismatique Stanton Carlisle fuyant la maison paternelle à laquelle il a mis le feu avec le cadavre de son père à l’intérieur (est-il mort de mort naturelle, a-t-il été assassiné ?). Les décors cadrés avec soin, les lumières, les couleurs chaudes de la fête foraine sont magnifiques. Guillermo del Toro a fait construire une réplique grandeur nature des grandes fêtes foraines américaines, avec un ensemble d’attractions d’époque, et de chapiteaux. Dans l’un d’entre eux gît une loque humaine qui été droguée et affamée et dont l’attraction consiste à le voir décapiter des poulets vivants avec les dents. Cette première partie peut paraître un peu longue, mais une lenteur nécessaire pour camper le personnage de Stanton, voir son apprentissage de la manipulation par le « métier » de medium et la progression de son ambition. Dans la seconde partie, aux décors tout aussi soignés d’appartements newyorkais verglacés somptueusement meublés, le réalisateur retrace avec justesse l’ascension de Stanton, épaulé par sa fidèle Molly, jusqu’à l’horreur qui accompagne sa chute inexorable dans un décor de neige et de sang. Chute provoquée par la glaciale Cate Blanchett en femme fatale, psychanalyste vénéneuse, envoutante, dont les méthodes professionnelles ne sont pas très éloignées de celles du charlatan medium.

Film brillant, d’une maîtrise impressionnante, où tout le talent bien connu du réalisateur se déploie. Le scénario et la mise en scène sont remarquables, la photographie, le travail des plans et des couleurs d’une grande élégance. Si l’on ajoute la musique de Nathan Johnson particulièrement adaptée, un casting de rêve, une direction artistique talentueuse, on peut comprendre le succès actuel de ce film. Pourtant l’Amérique a un peu boudé ce film. Sans doute parce que del Toro raconte une Amérique contemporaine en mettant en scène sa face sombre, obnubilée par l’ambition et la réussite sociales, critique à peine voilée du capitalisme. Il affirme : « le rêve américain est générateur de cauchemar ».

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