Plumes

Auteur : Omar el Zohairy, né en 1988, est un réalisateur égyptien. Il a étudié le cinéma à l’Institut du cinéma du Caire et a travaillé comme assistant réalisateur aux côtés de certains des réalisateurs les plus éminents d’Égypte, dont Youssef Chahine, Yousry Nasrallah et Sherif Arafa. Son premier court métrage Breathe Out (2011) a remporté la mention spéciale du jury au Festival international du film de Dubaï. En 2014, son deuxième court, La Suite de l’inauguration de toilettes publiques au kilomètre 375, a été le premier film égyptien à être sélectionné pour la Cinéfondation au Festival de Cannes, puis projeté dans plusieurs festivals internationaux remportant de nombreux prix. Plumes, son premier long métrage, a remporté le Grand Prix de la Semaine internationale de la critique au Festival de Cannes 2021, premier long métrage égyptien à recevoir ce prix dans l’histoire du festival, et le prix FIPRESCI. Par la suite, il a été projeté dans plusieurs festivals de films internationaux en remportant d’autres prix dont quatre au 32e Festival du film de Carthage, parmi lesquels celui d’interprétation pour Demyana Nassar.

Interprètes : Demyana Nassar (la mère)

Résumé : En Égypte, une sympathique idée tourne mal quand un magicien invité pour égayer l’anniversaire d’un jeune garçon transforme le père de famille en poule. Jusque-là affectée aux tâches les plus harassantes et habituée à la discrétion, la mère se voit contrainte d’endosser un rôle pour lequel elle ne possède aucune expérience et doit trouver un moyen pour subvenir aux besoins du foyer…

Analyse : Ce film ne m’avait pas tenté. Mais sur les conseils d’une amie fine cinéphile je me suis laissée convaincre de le voir. Et je n’ai pas été déçue ! Un premier film d’une grande habileté, qui fait passer des messages politiques forts en utilisant le mode burlesque. On est dans un univers d’une misère crasse. Tout est laid, petit, d’une saleté répugnante dans cet appartement jouxtant une usine où travaille le père de famille, qui n’a d’autre horizon que les cheminées de l’usine et est régulièrement envahi par les fumées toxiques qui s’en échappent. Dans cet univers kafkaïen, où des magiciens maladroits transforment le père de famille en poulet sans pouvoir revenir sur leur maléfice, la mère qui ne sera jamais nommée, dont on n’entendra pratiquement jamais le son de la voix, effacée, soumise, se retrouve sans ressources avec ses deux fils et son nourrisson. Elle se heurte à la bêtise de la bureaucratie de l’usine qui la loge, qui refuse de l’aider tant qu’elle n’a pas prouvé que son mari est mort et qui lui réclame le loyer du misérable logement qu’elle occupe ; elle est en butte aux saisies, aux avances de l’ancien patron de son mari qui l’aide. Elle doit donc se débrouiller, accepter des boulots au bas de l’échelle pour nourrir sa famille et gagner cet argent qui manque tant. Car d’argent il est beaucoup question dans ce film. Ces billets sales, qui n’en peuvent plus, que l’on compte inlassablement d’une manière très particulière, de scènes en scènes en très gros plan sur les mains qui le détiennent. Cet argent qui sert à acheter des médicaments chez le vétérinaire pour soigner le poulet-mari, à payer les sorciers, les marabouts, le pharmacien, pour acheter de quoi subsister, pour acheter une femme. Une réalité très crue sur laquelle s’attarde la caméra, faite d’ordures, de déchets, de fientes de cet animal maudit, de déjections, au milieu des cris, des bruits incessants des moteurs, des machines. Avec en contraste saisissant une télévision qui vient projeter dans cet univers sordide des images lénifiantes de paysages tranquilles avec des fleurs aux couleurs propres et belles, seule fenêtre sur le monde pour les enfants.

Se réfugiant derrière un humour grinçant ce jeune réalisateur arrive à montrer la misère du quotidien en Égypte de façon présentable, pays où près d’un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté. Il a été très critiqué à domicile et aurait même fait l’objet d’une plainte au pénal pour « insulte à l’Égypte et aux Égyptiens ». Avec de remarquables acteurs non-professionnels il égratigne également la chape du patriarcat qui pèse sur les femmes. Cette mère (formidable Demyana Nassar) silencieuse, la tête et les épaules toujours baissées, au quotidien ponctué de lessives, cuisine, soins des gosses et du mari, qui fait des efforts surhumains pour maintenir la famille hors de l’eau. Progressivement on la voit prendre les rênes de sa vie et, dans un geste final impensable, s’émanciper.

Avec talent le cinéaste organise son film autour de cadrages fixes, géométriques, qui offrent dans un clair-obscur la beauté de tableaux de peinture ou de photographies. Une mise en scène maîtrisée, un film construit avec finesse, intelligemment mené dans un univers d’une misère à peine imaginable, sans misérabilisme, avec un sens du burlesque et de l’absurde qui fait passer tout le reste.

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