Corsage

Auteur : Marie Kreutzer, née en 1977, est une réalisatrice et scénariste autrichienne. Elle fréquente l’école modèle AHS, une école alternative à vocation artistique et obtient son diplôme en 1995. De 1997 à 2005, elle étudie l’écriture et la dramaturgie à la Vienna Film Academy. Elle remporte le Grand Prix du festival du film autrichien avec son premier long métrage, Die Vaterlosen, dans lequel elle raconte l’histoire d’une communauté. Elle réalise ensuite trois autres longs métrages dont The Ground Beneath My Feet a été sélectionné à la Berlinale 2019 dans la compétition pour l’Ours d’Or. Corsage, sélectionné à Cannes 2022 dans la section Un certain regard, a reçu le prix d’interprétation féminine pour Vicky krieps.

Interprètes : Vicky Krieps (Elizabeth) ; Florian Teichtmeister (François Joseph 1er) ; Katharina Lorenz (Marie Festetics).

Résumé : Vienne, Noël 1877. L’impératrice autrichienne, Elizabeth, femme de l’Empereur François-Joseph Ier, fête sans joie son quarantième anniversaire, lasse des codes de la cour auxquels elle doit se soumettre.

Analyse : Voilà un film bien réjouissant qui bouscule les époques, les mentalités, qui détricote le mythe de Sissi, si joliment incarné par Romy Schneider. Plus de crinolines, de sourires, de légèreté, d’images de papier glacé, mais une impératrice qu’on ne nommera jamais Sissi, triste, tourmentée, mélancolique, révoltée, qui veut exister autrement que pour la parade et les besoins de l’empereur et de la cour. Marie Kreutzer signe un film résolument éloigné du mythe entretenu autour de cette impératrice. Nous sommes à la fin des années 1877. Elizabeth a 40 ans, un âge charnière, difficile à l’époque. Elle se voit vieillir mais refuse cette réalité, s’imposant, pour rester jeune et belle, des régimes alimentaires drastiques, des exercices de sport acharnés, des séances de corsetage torturantes, sacrifiant aux carcans imposés par des mœurs patriarcales ancestrale. Pourtant elle étouffe, au sens propre, dans cet environnement. Et il est assez paradoxal de la voir obéir à ces injonctions alors qu’elle rejette le rôle auquel elle est assignée, celui d’être constamment contrainte, en représentation, et de devoir se taire. Elle se rebelle avec une énergie digne d’un post-#MeToo. Elle devient alors indomptable dans des gestes d’une modernité inouïe : elle n’hésite pas à quitter brusquement un diner terriblement ennuyeux en faisant un doigt d’honneur aux invités, à traiter le majordome de son mari de « gros connard », à fumer comme un pompier, à s’enivrer d’héroïne, à se prêter à une séance de photo-cinéma (vingt ans avant son invention !) et, s’assurant que le film est muet, à crier des insanités et son désespoir, à multiplier les amants, à taper du poing sur la table devant son empereur de mari. Geste hautement symbolique, et de contestation très actuelle, elle coupe sa célèbre chevelure.  Cette fascinante Sissi-Vicky Krieps va faire durablement oublier celle glamour de la charmante Romy Schneider. Car cette Sissi-là, si elle n’est pas spécialement sympathique (elle est capricieuse, égoïste, cruelle avec son personnel, refusant par exemple à sa femme de confiance de se marier alors que c’est sa dernière chance), elle est très attachante, poignante dans sa solitude, délaissée par un mari occupé aux affaires de l’État et autres plus personnelles, mal comprise, intelligente, éprise d’indépendance et d’une liberté impossible. Dans une mise en scène qui donne l’impression de l’enfermement, des décors somptueux et une très belle lumière, Marie Kreutzer a multiplié les anachronismes : la rencontre avec le pionnier du cinéma, une salle de sport très actuelle avec téléphone et bouton électrique, l’utilisation dans la BO des chansons de Camille ou d’une ballade country de Kris Kristofferson, jouée à l’ukulélé. Elle prend des libertés avec l’histoire et notamment le voyage final de l’impératrice sur un yacht très actuel. Un film brillant, audacieux, qui dynamite autant les conventions du biopic que celles du film historique, porté par une actrice très talentueuse qui joue plus avec ses regards, ses silences, ses gestes qu’avec son texte.

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