Dancing Pina

Auteur : Florian Heinzen-Ziob, né en 1984, est un jeune chef monteur, producteur, réalisateur Allemand. Il est connu pour Tomo (2013), Original Copy (2015), For your own safety (2016), et German class (2018).

Résumé : Au Semperoper en Allemagne et à l’École des Sables près de Dakar, de jeunes danseurs, guidés par d’anciennes membres du Tanztheater de Pina Bausch, revisitent deux chorégraphies légendaires, Iphigénie en Tauride et Le Sacre du printemps.

Analyse : Les documentaires sur Pina Bausch, fabuleuse chorégraphe, trop tôt disparue, ne manquent pas. Beaucoup d’entre nous ont en tête le film de Wim Wenders, Pina (2011), une œuvre de deuil sortie juste deux ans après la mort brutale de la chorégraphe qui a endeuillé toute sa troupe et ses milliers d’admirateurs et d’admiratrices de par le monde. La démarche de Florian Heinzen-Ziob est différente. Ce n’est pas un film sur la chorégraphe mais sur son héritage, tourné vers l’avenir. Le réalisateur suit le montage de deux chorégraphies emblématiques de la danseuse dans deux lieux différents, Iphigénie en Tauride (crée par Pina Bausch en 1974), à l’opéra le Semperoper de Dresde, et Le Sacre du printemps (1975), à l’École des Sables de Dakar de Germaine Acogny. Dans le premier cas un décor de dorures et angelots avec des danseurs et danseuses de formation classique ; dans le second un hangar ouvert sur la nature, posé sur le sable doré près de la mer, avec des danseurs et danseuses venu.e.s de plusieurs pays d’Afrique, Bénin, Afrique du Sud, Sénégal, Nigeria ou Madagascar, davantage formé.e.s aux danses traditionnelles africaines. D’anciennes danseuses de la troupe du Tanztheater Wuppertal, la compagnie de Pina, Malou Airaudo, Josephine  Ann Endicott, Clémentine Deluy, transmettent à ces jeunes l’esprit de la danse telle que la concevait Pina. On aperçoit également (trop rapidement) Dominique Mercy qui a été son danseur vedette. Il ne s’agit pas de copier, de refaire à l’identique, mais de faire vivre les chorégraphies à travers l’histoire, la culture, les traditions diverses de ces jeunes venus de tous les continents. « Pour que sa danse reste vivante, elle doit évoluer avec ceux qui la dansent » nous dit son fils, Salomon Bausch. Une école de la libération du geste pour mieux intérioriser et incarner les personnages, où il faut oublier tous ses acquis, se réinventer, être fidèle à soi-même, lâcher prise. Malgré la précision du geste exigée, Malou Airaudo ne cherche pas la perfection, « Chez Pina Bausch, l’imparfait, c’est parfait ». Une tension et une inquiétude sont palpables chez les interprètes africains. Le réalisateur, passant d’un lieu à l’autre, procède à des interviews. À Dakar on comprend le poids des traditions, le courage qu’il a fallu à certaines danseuses pour braver les interdits familiaux. Une femme doit se marier, avoir des enfants, la danse la rendra stérile… une danseuse est assimilée à une prostituée car elle devra coucher avec le chorégraphe pour réussir etc.. Un garçon s’interroge à propos du visionnage d’une vidéo du Sacre du Printemps : « Quand j’ai vu la vidéo, je me suis dit que les Occidentaux ne connaissent pas la valeur du sacrifice. Mais ces danseurs, je ne sais pas ce que Pina leur avait dit pour qu’ils puissent se sacrifier à ce point sur le plateau. Il faut faire un sacrifice, à un moment donné, pour la danse ». À Dresde, la danseuse Sangeun Lee qui incarne le rôle principal d’Iphigénie, recroquevillée et pensive dans un coin de la salle de répétitions incarne ses doutes. Longiligne dans sa robe de soie à bretelle, on croirait revoir Pina Bausch que j’ai eu le privilège (de l’âge ?) de voir danser dans la seule pièce qu’elle interprétait elle-même, Café Müller (en souvenir de ses parents qui tenaient un café), en Avignon dans la cour d’honneur du Palais des papes en 1995. Souvenir inoubliable d’une liane fragile et indestructible.La dernière scène du film est magistrale : privés de spectacle à cause de la pandémie de Covid, les danseurs africains interprètent Le Sacre du Printemps au coucher du soleil sur une plage où l’on a ratissé le sable pour délimiter une scène, dans un cadre sublime. Une danse des corps, une danse de l’âme. 

Je vous conseille de voir cette archive de l’Ina avec des extraits de Café Müller interprété par Pina et du Sacre du printemps au festival d’Avignon en 1995, et une interview d’elle aux côtés de Dominique Mercy : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cac95040421/pina-bausch-au-festival-d-avignon-avec-cafe-muller-et-le-sacre-du

Laisser un commentaire