About Kim Sohee

Autrice : née en 1980 July Jung est une réalisatrice sud-coréenne. Elle étudie l’image et les médias à l’Université de Sungkyunkwan. Après son diplôme, elle entre au département cinéma de l’Université nationale des arts de Corée. Son premier long métrage, A girl at my door, est présenté en 2014 au Festival de Cannes dans la sélection Un Certain Regard. About Kim Sohee est son deuxième long métrage et sa deuxième collaboration avec l’actrice Doona Bae. Le film a été présenté en clôture de la Semaine de la Critique du festival de Cannes 2022.

Interprètes : Doona Bae (Oh Yoo-Jin) ; Kim Si-eun (Kim Sohee).

Résumé : Une lycéenne sud-coréenne effectue son stage de fin d’études dans une entreprise. En quelques mois, son moral décline sous le poids de conditions de travail dégradantes et d’objectifs de plus en plus difficiles à tenir. En charge de l’enquête, l’inspectrice Yoo-jin est profondément ébranlée par ce qu’elle découvre. Seule, elle remet en cause le système. Le film part d’une histoire vraie.

Analyse : Un film divisé en deux chapitres habilement imbriqués. Le premier se concentre sur Kim Sohee, une post adolescente qui adore la danse qu’elle pratique avec acharnement. Elle est pugnace, elle a du caractère, de la personnalité et semble avoir de la défense dans la vie. C’est une lycéenne qui doit valider son cursus. La loi impose aux établissements scolaires d’envoyer ses jeunes faire un stage. Le directeur lui trouve un stage dans une grande entreprise de télécommunication en lui faisant des recommandations pour qu’elle travaille dur, ne soit pas insolente et fasse son stage jusqu’au bout ; c’est la crédibilité de l’école qui en dépend. La charge morale est donc déjà grande quand elle arrive dans cette entreprise où dans une grande salle, des petites cabines individuelles ouvertes abritent des « stagiaires », toutes jeunes femmes, qui devant un ordinateur, doivent répondre toute la journée aux abonnés et les dissuader surtout de ne pas résilier leurs contrats. Les réponses sont toutes consignées sur un formulaire en fonction des questions posées et doivent être scrupuleusement répétées lors des entretiens. La responsabilité de chacune est très grande vis-à-vis de la hiérarchie mais aussi de toutes les autres filles car une résiliation est une mauvaise note pour l’équipe entière et l’unité qui est notée au plus haut niveau sur ses résultats. Le chef de service, qui semble humain mais lui-même soumis à des injonctions, fait une pression constante sur les stagiaires pour obtenir de bons résultats. S’en suivent des cadences infernales et un harcèlement constant sur des exigences de plus en plus fortes. Lors de la paye Sohee a la surprise de constater qu’elle ne reçoit pas le salaire prévu au contrat initial. En effet on fait signer aux stagiaires, une fois embauchées, un avenant avec une paye moindre ! Des conditions humaines inacceptables qui révèlent un univers impitoyable qui broie ces adolescentes dans l‘indifférence générale. Le système des stages scolaires obligatoires est une véritable manne pour ces entreprises capitalistes ; elles y trouvent une main d’œuvre à bas prix, corvéable à merci, avec la complicité des pouvoirs publics et de l’éducation nationale, car il en va de la réputation de l’école et de son taux d’emploi qui est déterminant pour son classement, donc ses subventions. Sohee, apparemment forte, ne résiste pas dans cette spirale infernale. Deux évènements vont faire basculer son mental. D’abord son chef de service se suicide en laissant une lettre qui dénonce ces pratiques, et elle assiste, impuissante, à la volonté des dirigeants d’étouffer l’affaire ; ensuite le refus de l’entreprise de lui payer ses heures supplémentaires. En effet ce payement est différé de deux mois pour éviter la fuite des stagiaires ! Sohee s’automutile, agresse la nouvelle manageuse et finit par disparaitre dans une réserve d’eau. C’est un film dur, d’une vibrante indignation. Ce n’est pas un film militant mais un film qui dénonce au sein de ces entreprises ultralibérales tout un système d’interdépendance, de soumission à la rentabilité, à la performance, au prix du sacrifice de jeunes individus broyés par ses objectifs. Après la mort de Sohee une seconde partie, très différente, relate l’enquête diligentée par une femme policière, femme pugnace également, qui flaire, malgré les dénégations et la défense des dirigeants, un système d’exploitation indigne. Elle se souvient d’avoir croisé Sohee dans le passé car elle fait également de la danse. Elles ont une personnalité très proche et Yoo-jin s’investit totalement pour faire éclater la réalité. Deux personnalités de femmes attachantes remarquablement interprétées par Kim Si-eun et Doona Bae (vue récemment dans Les Bonnes étoiles du japonais Kore-eda). Un film d’une grande beauté formelle qui est né de la curiosité de July Jung qui a voulu comprendre « pourquoi les jeunes filles étaient envoyées pour accomplir des tâches que même des adultes expérimentés ne peuvent pas supporter ». Ce fait tristement divers a fait grand bruit en Corée au point que l’entreprise, acculée, a dû présenter des excuses et que le gouvernement a pris une loi pour protéger les stagiaires lycéens et lycéennes du harcèlement au travail.

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