Autrice : Justine Triet, née le 17 juillet 1978, est une réalisatrice, scénariste, actrice française. Elle fait ses études aux Beaux-arts et réalise son premier court métrage documentaire en 2006, Sur place. Elle poursuit dans la voie documentaire avec Solférino (sur l’entre-deux tours de la présidentielle de 2007) et Des ombres dans la maison. La reconnaissance commence avec Vilaine fille, mauvais garçon (2012) un court métrage de fiction qui obtient le prix du Meilleur film européen à la Berlinale et le Grand prix du Festival Premiers plans d’Angers. L’année suivante, elle se lance dans le format long avec La bataille de Solférino, basé sur Solférinoet retenu à l’ACID du Festival de Cannes 2013. Elle revient sur la Croisette en 2016 avec Victoria sélectionné à la Semaine de la critique, et en 2018 avec Sybil en sélection officielle. En 2023 elle retrouve Cannes avec Anatomie d’une chute qui remporte brillamment la Palme d’or. C’est la troisième femme à obtenir cette prestigieuse distinction.
Interprètes : Sandra Hüller (Sandra) ; Antoine Reinartz (le procureur) ; Swan Arlaud (l’avocat de Sandra) ; Milo Machado Graner (Daniel) ; Samuel Thiezs (Samuel).
Résumé : Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple
Analyse : Il est dommage qu’on ait commencé à parler du film de Justine Triet par une polémique. Pour en finir rapidement sur ce sujet. Qu’a dit Justine Triet ? Elle a commencé par manifester sa solidarité avec ceux qui se battent contre la réforme des retraites. C’est courageux et quelle meilleure tribune que celle qu’on lui offrait pour le faire ? Elle a ensuite critiqué la politique du gouvernement français actuel pour défendre l’exception française qu’elle considère menacée. Bien sûr elle a bénéficié de cette exception et financements donnés à la création cinématographique. Mais cela lui donnerait-il l’obligation de se taire ? Pourquoi ne pourrait-elle pas critiquer cette main tendue si elle estime que des menaces planent sur le système dont elle a bénéficié ? C’est plutôt très courageux du haut de sa Palme d’or de dire ce qu’elle avait à dire au lieu de servir le discours glamour sirupeux habituel lors de ce genre de cérémonie. Il serait particulièrement dommage de se priver de voir ce film, de très loin le meilleur de cette année, sous prétexte d’un désaccord avec les propos de sa réalisatrice.
Car son film est magistral. 2h30 de grand cinéma remarquablement intelligent et parfaitement écrit ; 2h30 de tension, d’interrogations, d’espoirs, de suspens bien mené, d’autopsie au scalpel du lent délitement d’un couple et de son impact sur un enfant. Pourquoi un homme chute-t-il ? Accident, suicide, meurtre ? métaphore de sa chute morale. Samuel s’est retiré avec Sandra, sa femme allemande et son petit garçon de 11 ans, malvoyant, dans un chalet isolé au-dessus de Grenoble. Ils sont tous deux écrivains mais le problème est qu’il est cantonné dans une profession d’enseignant alors qu’il veut écrire et qu’il n’y arrive pas, tandis qu’elle réussit mieux que lui, qu’elle lui a pris une idée, avec son accord, dans un livre qu’il n’arrivait pas à achever. D’où chez lui jalousie, rivalité (la situation inverse n’aurait posé aucun problème !), bataille d’ego, frustration, rancœurs et amertume. Au cours d’une scène clé pendant le procès où il a enregistré à l’insu de Sandra (comme il le fait pour tout pensant en nourrir ses romans), leur dernière dispute la veille de sa mort, il lui reproche de devoir s’occuper de l’enfant qu’il a choisi de scolariser lui-même à la maison, d’assumer trop de taches domestiques alors qu’elle est égoïste, qu’elle travaille et réussit, griefs habituels que généralement les femmes adressent à leurs maris, déséquilibre difficilement supportable que beaucoup de couples vivent ; griefs qui ont eu raison de leur amour. « Je ne crois pas à la réciprocité dans le couple, dit Sandra à la barre.C’est naïf et déprimant. » Le film pose le problème de l’égalité dans le couple qui est un pari prométhéen. Une égalité qui n’est pas donnée, qui se prend, ce que fait Sandra et ce qui ne sera pas en sa faveur au cours du procès. Justine Triet, par un clin d’œil à Anatomy of a murder d’Otto Preminger, film dont elle se réclame, a fait également un film de procès. Mais elle a intelligemment cassé tous les codes du genre. Dans ce genre de film on a souvent des plans fixes, des lignes symétriques, une majesté impressionnante, des morceaux de bravoures des plaidoiries grandiloquentes des avocats. Ici c’est le mouvement libre des caméras qui rend les scènes vivantes, des zooms, des contreplongées qui donnent à ces moments passionnants une tension pleine d’attente. Dans deux scènes clés du procès Justine Triet dissocie très habilement le son de l’image. À aucun moment les jurés ne sont filmés. La réalisatrice nous donne ce rôle.
Beaucoup a été écrit sur ce film, trop à mon sens. Aussi je ne rajouterais pas un commentaire qui déflorerait plus encore le film. Je vous dirai simplement que c’est un film magistral, d’une mise en scène simple et efficace, avec un scénario remarquablement mené, riche d’une multitude sujets, qui analyse très finement ce qui détruit progressivement un couple ; un film féministe qui montre comment il est difficile encore aujourd’hui d’être la meilleure dans un couple ; un film qui donne au passage un coup de griffe à la justice dans l’acharnement d’un procureur sans nuances et qui met en scène la misogynie ordinaire, car aux yeux de la justice il n’est pas bon apparaître un femme forte et libre. Un film remarquablement joué, Sandra Hüller en tête, qui interprète avec un immense talent une femme forte, difficile d’accès, ambigüe, avec toutefois ses fragilités, comme le sont souvent les héroïnes de Justine Triet ; Antoine Reinartz parfait dans son rôle de procureur obstiné qui assène sa vérité, ou Swann Arlaud en avocat délicat et tout en nuances. Une mention très spéciale au jeune Daniel, joué par Milo Machado Graner, malvoyant dans le film mais d’une clairvoyance remarquable. C’est lui qui aura le dernier mot du procès. Un film à voir, absolument, car rarement Palme d‘or n’aura été aussi méritée.
Pas d’accord du tout pour une fois… A part l’interprétation magistrale de l’actrice. Portrait d’une femme dominante et à la maîtrise de soi implacable. Fragilité de l’homme. Oui rôle inversé. Je préfère le fragile, le fêlé.. Quel est le véritable artiste,? Et l’enfant aveugle qui est le clairvoyant. Grosse ficelle! Par contre une direction d’acteur magistrale. Scénario faible et roublard. Et pas un gramme d’humour. Je regrette que Sandra Huller n’ait rien reçu aucune récompense. Conversation à poursuivre…
Désolée Irène ! Je persiste et signe. Mais il est interessant d’avoir des avis différents. Vives conversations à suivre !!
Entièrement d’accord avec tout ce que tu écris, Marie-jeanne, il est regrettable qu’une partie des spectateurs potentiels s’arrêtent à ses propos à Cannes, confondant art et politique, le premier devant l’emporter, en l’occurrence. Film d’une perfection absolue dans la construction du malaise entre un homme et une femme !