Les Colons

Auteur : Felipe Gálvez Haberle, né en 1983, est un chef monteur, réalisateur chilien. Il est étudiant à l’Universidad del Cine à Buenos Aires. En 2009 il présente son premier court métrage en tant que scénariste, réalisateur et monteur, Silencio en la sala, prix du meilleur court métrage au festival international du cinéma indépendant de Buenos Aires, puis en 2011 son second court, Yo de aqui te estoy mirando, présenté au festival international du film de Rotterdam. En 2018 son troisième court Rapace (Rapaz), écrit avec Antonia Girardi et monté avec Andrea Chignoli, est sélectionné en compétition à la Semaine de la critique du festival de Cannes. Son premier long métrage Les Colons est sélectionné dans la section Un certain regard au festival de Cannes 2023 où il reçoit le prix FIPRESCI (prix de la critique internationale).

Interprètes : Camilo Arancibia (Segundo) ; Mark Stanley (Capitaine MacLennan); Benjamin Westfall (Bill, mercenaire américain) ; Alfredo Castro (José Menendez).

Résumé : Terre de Feu, République du Chili, 1901. Décidé à ouvrir une route vers l’Atlantique, un riche propriétaire terrien charge des mercenaires de se débarrasser des autochtones.

Analyse : On ne peut qu’applaudir à ce premier long métrage somptueux et glaçant. Le chilien Felipe Gálvez Haberle s’attache à un épisode de l’histoire chilienne, volontiers occulté dans les manuels d’histoire du pays, la conquête de la Terre de Feu par des colons blancs avec le nettoyage systématique et impitoyable, disons plutôt le génocide, de tous les indiens implantés sur le territoire. Meurtres, viols, empoisonnements, tout semble bon à ces mercenaires pour obéir aux ordres de José Menendez, propriétaire de milliers d’hectares acquis on ne sait trop comment, et de milliers de têtes de moutons, qui veut ouvrir une voie vers l’Atlantique. Ils sont trois, le cow-boy anglais ex-capitaine de l’armée britannique, appelé le cochon rouge, référence à la couleur de sa veste, un yankee moustachu, prédateur avide et « le métisse », Segundo, mi-chilien mi-indien, enrôlé dans cette aventure parce qu’il est une bonne gâchette. Par l’utilisation de magnifiques plans larges sur des paysages de western et de gros plans sur les visages qui font ressortir leur cruauté et leur animalité, par une mise en scène ferme et resserrée, par de magnifiques images, le metteur en scène réalise un film courageux et engagé. Des scènes époustouflantes dans l’horreur, notamment l’exécution sournoise d’un camp d’indiens endormis, la brume cachant l’infamie, mais le son des coups de fusils résonnant dans le silence atténuant les hurlements, le bruit des chutes des corps, tout nous donne la mesure de l’extermination lâche de ces tribus d’amérindiens, les Selk’nam. Les grands yeux du métis nous disent sa sidération et sa lâcheté aussi ; certes il ne participe pas aux fusillades mais il est armé et se révèle incapable de tirer sur ces deux tortionnaires.  Un film qui illustre parfaitement la phrase de Pierre-Joseph Prudhon « La propriété c’est le vol ». Menendez a beau jeu d’affirmer « les Indiens ne comprennent rien à la propriété », car c’est au nom de la sacro-sainte loi sur la propriété qu’il se permet de les exterminer avec un cynisme assumé. Le film commence d’ailleurs par une scène surréaliste : des ouvriers posent des barrières sur un terrain infini. Avec là encore sa part d’horreur : un ouvrier perd un bras en manipulant la machine destinée à tendre les fils de la clôture et est exécuté froidement par le contremaître « Ici, un manchot ne vaut rien ». Qu’on ne s’y trompe pas ! l’histoire ne se situe pas au moment de la conquête espagnole au 16ème siècle, mais au début du 20ème, c’est-à-dire hier. Un film qui n’épargne personne. Le commissaire du gouvernement, au nom du président, semble prêt à tirer un trait sur cette histoire et à construire une nation avec les blancs et les indiens. Mais à la fin, lorsqu’il retrouve Segundo qui devient le témoin de cette horrible histoire, désormais marié, il veut faire poser le couple en habits occidentaux, prenant une tasse de thé. Il se heurte, furieux, au regard intense de la femme qui ne s’exécute pas, regard qui transperce l’écran et nos consciences. 

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