MAKALA

Auteur : Emmanuel Gras né en 1976, est un directeur de la photographie, réalisateur et scénariste français. Il est l’auteur de plusieurs documentaires qui mettent en scène des personnes généralement en situation difficile ou précaire comme Être vivant, court métrage, Une petite note d’humanité, court métrage, Empire of Dust, moyen métrage, 300 hommes, long métrage, Makala, long métrage, ou qui décrit le quotidien de vaches comme Bovines (moyen métrage).

Résumé : Un épisode de la vie, au Congo, d’un paysan qui n’a comme ressources que ses bras, la brousse environnante et une volonté tenace. Il part sur des routes dangereuses et épuisantes pour vendre son charbon, le fruit de son travail, avec l’espoir de donner à sa famille de meilleures conditions de vie.

Analyse : Ce film est classé dans la catégorie documentaire, mais la force du sujet, les cadrages et la lumière sont tellement soignés que l’on se croirait dans une fiction où tout a été prévu d’avance, travaillé et organisé. Emmanuel Gras manie sa caméra avec infiniment de talent et nous donne des images splendides sur ce qui est pourtant la misère, l’aridité, les conditions de vie quasi inhumaines de ce pauvre paysan de la République démocratique du Congo qui doit sa survie et celle de sa famille à la fabrication du charbon, makala en swahili.

Avec une patience infinie qui n’a rien de lassant ni d’artificiel, le réalisateur filme toutes les étapes de la fabrication du charbon. Le choix par le héros, Kwabita, de son arbre au tronc gigantesque et aux grandes branches, qu’il attaque dans une longue coupe avec sa simple hache, la confection du four en terre pour la combustion des branches patiemment rassemblées puis la mise en sacs de ce charbon chargés méthodiquement sur sa bicyclette vétuste. Commence alors le cœur du film, le long périple de 50 km sur les pistes en latérite, ensablées ou rocailleuses, depuis son village jusqu’à la ville de Kolwezi. La caméra suit au plus près le charbonnier qui pousse son vélo, de jour comme de nuit, que des voitures, des cars, des camions doublent à vive allure, dans un halo de phares et de poussière, nous faisant craindre le pire à chaque instant. La souffrance, les efforts surhumains, l’épuisement de ce Sisyphe des temps modernes nous mettent dans l’inconfort car ils sont filmés au plus près sans toutefois aucun voyeurisme ni misérabilisme. C’est tout le talent du réalisateur d’avoir accompagné cette marche qui semble la sienne, la nôtre tant son empathie est forte pour ce misérable paysan qu’il nous montre dans toute sa réalité. Les notes tristes du violoncelle de la musique composée par Gaspar Claus accompagnent l’errance et les malheurs de notre héros. Il n’y a rien d’esthétisant dans ce film ; simplement Emmanuel Gras nous donne à voir la vie de cette population des campagnes, qui est congolaise mais qui pourrait être d’ailleurs en Afrique, qui se nourrit de rats et qui vit d’un labeur mal récompensé par des acheteurs plus fortunés qui marchandent marchandent jusqu’à rendre le bénéfice si mince que Kwabila ne pourra réaliser son but : acheter les tôles pour une future maison qu’il voudrait construire pour abriter sa famille. Par ce documentaire le réalisateur en dit long sur cette Afrique, à certains égards désespérante, où non seulement les pauvres se font exploiter sans scrupules par de plus riches dans une société très inégalitaire, mais où ils se font racketter par d’autres avec la complicité de la police, au mépris de toute solidarité de classe, où la culture sur brûlis favorise l’érosion des sols et appauvrit l’environnement. Sans être un film engagé ce documentaire donne toute sa dignité à ce petit peuple bafoué et résigné.

La dernière scène est également l’autre sommet du film. Kwabita a vendu, mal apparemment, tout son charbon et se retrouve dans une salle de prière. Un prêtre (?) dirige une prière avec des chants religieux et des rythmes traditionnels où chacun en tapant des mains et en chantant semble entrer en transe dans une séance d’exorcisme collectif. Kwabita apparaît au fond de la salle, en prière et en larme. Il va alors repartir, son vélo déchargé vers sa misérable vie.

Ce documentaire plein de respect pour ce petit peuple souffrant est fascinant. Il a mérité le Grand Prix à la Semaine de la Critique et la mention spéciale du prix documentaire l’Oeil d’Or à Cannes cette année.

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