Billie Holiday, une affaire d’État

Auteur : Lee Daniels, né en 1959, est un producteur, réalisateur, scénariste et acteur américain. Après avoir été infirmier, il débute dans le cinéma comme directeur de casting puis producteur. Il se lance ensuite dans la réalisation avec un premier film Shadowboxer (2005), acquiert une reconnaissance avec son second film, Precious (2009) qui obtient deux Oscars, réalise en 2012 Paperboy, sélectionné à Cannes, puis Le Majordome (2013). Il est l’auteur de la série Empire (à partie de 2015) qui a eu un grand succès aux États-Unis. Le réalisateur s’est toujours intéressé aux problèmes raciaux et a confirmé son appartenance à la communauté afro-américaine.

Interprètes : Andra Day (Billie Holiday) ; Trevante Rhodes (Jimmy Fletcher) ; Garret Hedlund (Harry J. Anslinger).

Résumé : En 1939, Billie Holiday est déjà une vedette du jazz new-yorkais quand elle entonne « Strange Fruit», un vibrant réquisitoire contre le racisme qui se démarque de son répertoire habituel. La chanson déchaîne aussitôt la controverse, et le gouvernement lui intime de cesser de la chanter. Billie refuse. Elle devient dès lors une cible à abattre.

Analyse : On ne saurait se lasser des films qui nous parlent de la partie la plus sombre de l’histoire, toujours actuelle hélas, de l’Amérique : la ségrégation raciale. Un pays ne peut être « grand » quand il assassine une part de ses minorités en raison de leur couleur de peau. L’actualité avec le meurtre de noirs par les forces de l’ordre qui a engendré le mouvement « Black Lives Matter » prouve que ce cancer est toujours virulent. « Make America great again » ! laquelle ? celle de la ségrégation ?

C’est ce dont nous parle ce film à travers un biopic sur une tranche de la vie de Billie Holiday (1915-1959), peu mise en valeur jusqu’ici. Sa position politique déterminée quand elle décide de ne pas retirer de son répertoire sa chanson Strange fruit évoquant le lynchage, dans le Sud des États-Unis, des noirs pendus aux branches des peupliers par les suprémacistes blancs, ce qui, à partir de 1947, lui attire les foudres de l’agent du FBI Henry Hanslinger qui la harcèlera jusqu’à sa mort. Ce film s’inscrit dans la lignée des Selma d’Ava DuVeray (fiche du 17 mars 2015), 12 Years a Slave de Steve McQueen (fiche du 11 déc. 2015), Moonlight de Barry Jenkins (fiche du 4 mars 2017), Green Book de Peter Farrelly (fiche du 11 février 2019), ou BlacKkKlansman  de Spike Lee. 

Le premier plan commence par une image d’archives qui progressivement devient glaçante. Un groupe de personnes blanches en cercle qui a l’air joyeux. Doucement la caméra nous dévoile le premier plan de la photo : le corps martyrisé d’un noir que ces gentilles personnes entourent et qu’elles ont visiblement lynché. Dans une mise en scène flamboyante, que d’aucuns pourraient trouver excessive, Lee Daniels nous fait partager la vie mouvementée de cette star du jazz, rare femme noire à l’être dans les années 30, à l’enfance malheureuse, violée à 10 ans puis prostituée. Pour incarner Billie Holiday le réalisateur a pris un risque : donner le rôle-titre à une chanteuse qui n’avait jamais joué la comédie. Andra Day a travaillé sa voix, perdu 15 kilos, fumé et bu pour trouver la rugosité vocale de « Lady Day ». Le résultat est époustouflant. Elle ne joue pas, elle est Billie Holiday. Elle a d’ailleurs été récompensée au Golden Globes pour ce rôle, nommée aux Oscars, mais devancée par Frances Mc Dormand (pour son rôle dans Nomadland). Un prix qui aurait mérité d’être ex-aequo car Andra Day a révélé un extraordinaire talent, passant avec nuances et conviction de la joie, à la colère, tour à tour combative et défoncée par la prise de drogue. Le réalisateur nous montre avec beaucoup de tendresse les tourments de cette artiste qui trouve refuge et consolation dans la drogue, attirée par des maris violents qui l’exploitent, terriblement bouleversante et attachante. Des moments de joie pour elle et pour nous animent le film, dans les séquences où elle chante sur scène devant une foule enthousiaste, blancs et noirs mélangés. 

Lee Daniels a mis un soin particulier à reconstituer les décors, les costumes, les couleurs et l’atmosphère de l’époque. Il met également l’accent sur la lutte inégale entre la chanteuse et les agents du FBI qui, avec des méthodes de voyous, mettent de la drogue dans son appartement pour la faire tomber (elle sera incarcérée deux fois), ou la font infiltrer par un agent noir (Jimmy Fletcher) avec lequel elle aurait, parait-il, partagé une histoire d’amour – c’est la part fictionnelle du biopic. 

Un film qui met en lumière une pionnière des droits civils et des droits des femmes, un film nécessaire quand on sait qu’il a fallu attendre février 2020 pour que le lynchage soit désormais considéré comme un crime au niveau fédéral.

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