A Chiara

Auteur : Jonas Carpignano, né en 1984 à New York, est un scénariste et réalisateur italien. Il commence sa carrière cinématographique par la publication de courts métrages à partir de 2006. Il en réalise six puis se lance dans la réalisation de longs métrages, une trilogie sur sa ville de résidence calabraise, Gioia Tauro : Mediterranea (Semaine de la Critique 2015) sur l’émigration des africains vers le sud de l’Italie, A Ciambra (Quinzaine des Réalisateurs 2017, voir la fiche du 30 septembre 2017) sur la vie de roms dans ce quartier de sa ville, qui vivent de combines et d’arnaques, puis A Chiara qui a obtenu le Label Europa Cinema à la Quinzaine des réalisateurs, Cannes 2021.

Interprètes : Swamy Rotolo (Chiara) ; Claudio Rotolo (Claudio) ; Grecia Rotolo (Giulia).

Résumé : Chiara, 16 ans, vit dans une petite ville de Calabre, entourée de toute sa famille. Tout le clan se réunit pour les 18 ans de sa sœur. Le lendemain, Claudio, son père, disparait. Elle décide alors de mener l’enquête pour le retrouver. Mais plus elle s’approche de la vérité qui entoure le mystère de cette disparition, plus son propre destin se dessine.

Analyse : Jonas Carpignano termine avec ce film sa trilogie consacrée à sa ville de résidence calabraise, Gioia Tauro. C’est la mafia qui en est le sujet, vue sous un angle assez original. Il n’y a pas de coups de feu, de violence, mais l’étude de celle-ci dans ses implications familiales. Certes, ce n’est pas sans rappeler Le Parrain (1972) où les enfants d’une famille mafieuse doivent tracer leur propre route, tiraillés entre les liens du sang, leur liberté, le bien et le mal. Chiara est une adolescente de 16 ans, extraordinaire actrice non-professionnelle, qui vit la joie et l’insouciance de son âge, énergique, déterminée. Lorsque son père disparait, elle part à sa recherche pour l’interroger sur son innocence avec courage, inconsciente du danger qu’elle court. Elle comprend rapidement qu’il s’est enfui devant les carabinieri, qu’il fait partie de la pieuvre calabraise, la ’Ndrangetha. Face à l’omerta elle veut comprendre, savoir obstinément. C’est une famille nombreuse très unie, celle de l’actrice dans la réalité. Le film commence sur une scène d’anniversaire de l’ainée, Giulia, tellement chaleureuse. On rit, on crie, on s’aime, on chante, on danse, comme souvent dans cette région. Le père de famille déborde d’amour pour ses filles. Cette scène qui ouvre le film est très longue, trop diront certains. Mais c’est le style caractéristique du cinéaste italien, qui gomme volontiers la frontière entre fiction et documentaire. Souvent caméra à l’épaule le réalisateur suit ses personnages au plus près, gros plans sur les visages, les yeux, le grain de la peau, non pour les enfermer mais pour nous les rendre plus familiers. C’est le récit intime d’une initiation. À travers le magnifique regard de la jeune fille, on ressent tous les états d’âme par lesquels elle passe en entrant brutalement dans l’âge adulte. Jusqu’à son incrédulité devant un père qu’elle affronte, qui essaie de minimiser son rôle en lui montrant que c’est « un travail comme un autre », ce qui ébranle la jeune fille qu’on sent moins intransigeante. 

Dans ce film d’un réalisme âpre, le réalisateur fait, sans complaisance ni jugement, le portrait d’une mafia qui n’est pas celle de légende, celle des grandes familles façon Le Parrain, mais celle de toute une tranche de la population dont c’est le seul moyen de survie. A travers le portrait de Chiara il analyse également comment des jeunes dans ce milieu peuvent difficilement trouver le chemin de leur propre liberté, comment, avec le soutien de la famille, le trafic et l’argent facile deviennent une option tentante. C’est aussi le portrait rude et sans fard d’une Italie d’aujourd’hui qui n’arrive pas à se débarrasser de ses démons. 

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