Festival de Cannes 19 mai 2023

Nuri Bilge Ceylan est un réalisateur, photographe, scénariste turc. Dès son deuxième film, Nuages de mai (1999) il atteint une notoriété internationale. Habitué de Cannes, il obtient en 2002 le Grand Prix pour Uzak, le prix FIPRESCI de la critique internationale toujours à Cannes pour Les Climats (2006), le Prix de la mise en scène en 2008 pour Les trois singes, le Grand Prix en 2011 pour Il était une fois en Anatolie et la Palme d’or en 2014 pour Winter Sleep. Il revient pour la sixième fois en compétition avec Les Herbes sèches. Samet est un jeune enseignant dans un village reculé de Turquie. Alors qu’il attend depuis plusieurs années sa mutation à Istanbul, une série d’événements vont lui faire perdre tout espoir. Il a une attitude peu orthodoxe dans ce milieu très conventionnel ; il veut être proche de ses élèves et leur offre des cadeaux à l’occasion. Il est particulièrement proche de la charmante et gracieuse petite Sevim d’une manière quelque peu ambigüe. C’est une première piste du film. Il est ensuite accusé avec son colocataire et collègue, Kenan, d’attitude déplacée envers les élèves, c’est la seconde piste, à laquelle s’ajoute la jalousie professionnelle, la vengeance, le triangle amoureux entre lui, Kenan et Nuray, une professeure d’anglais fraichement arrivée d’Istanbul, engagée très activement en politique, handicapée par un attentat dont elle a été victime. Samet n’est pas un être sympathique, c’est le moins que l’on puisse dire, il ment, il trompe son monde, il manipule et est d’une misanthropie réfléchie et assumée. Comme toujours chez Ceylan les paysages de cette région pauvre de l’est de la Turquie, enveloppés d’une neige épaisse, sont absolument sublimes. Une région d’où l’on passe sans transition de l’hiver à l’été ce qui explique que les herbes soient vite sèches. Comme toujours chez Ceylan les protagonistes ont de longues conversations très intellectuelles. Oui c’est bavard, mais c’est intelligent et profond. L’amertume sous-tend tout le film et Samet a le dernier mot dans le film : comment passer à côté de ce que la vie nous donne, et s’en rendre compte si tard ? C’est par ailleurs le film le plus engagé du réalisateur, sans toutefois qu’il prenne partie, la question kurdo-turque étant très présente. Un film à revoir pour capter toute la richesse des dialogues. Je souhaiterais le voir figurer au palmarès.

Kaouther Ben Hania est une réalisatrice et scénariste tunisienne de 45 ans. Après des études de cinéma, notamment à La Fémis, elle réalise quelques courts métrages puis plusieurs longs distingués dans divers festivals. Son film La Belle et la meute a été sélectionné dans Un certain regard à Cannes 2017 et a obtenu le prix Lumières 2018 et présélectionné aux Oscars (voir la fiche du 21 octobre 2017). Les Filles d’Olfa, en compétition officielle est son 5ème long métrage. La réalisatrice est partie d’un fait divers qui a eu un certain retentissement en Tunisie, le départ en 2016 des deux filles ainées d’Olfa parties en Libye pour faire le djihad. A partir de cette réalité la réalisatrice monte un film qui n’est pas qu’un documentaire. Avec intelligence et habileté elle y mêle de la fiction en faisant appel à des actrices professionnelles pour jouer le rôle des deux absentes et doubler parfois le personnage de la mère. Mais la cinéaste ne s’arrête pas là.  Avec virtuosité, elle égare sans cesse le spectateur. Elle y mêle des images d’archives et tourne la réalisation du documentaire, le film dans le film en quelque sorte, et comme dans Close-up d’Abbas Kiarostami, dont elle revendique l’influence, elle inclut la réflexion sur le film dans sa mise en scène. Est-ce un « documentaire sur la préparation d’un faux film de fiction » ?  Esquisse-t-elle une œuvre de fiction qu’elle ne tournera jamais ? au point que, de manière légitime, on ne sait parfois plus ce qui ressort de la réalité ou de la fiction. Un exercice d’équilibre parfaitement réussi. Un film attachant qui traite de nombreux sujets : la transmission mère-filles des traumas, la rébellion des adolescentes cause de choix radicaux, la sororité. Mais aussi une réflexion sur le cinéma lui-même. C’est habile et intelligent. Un très beau film, qui devrait figurer en bonne place au palmarès.

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